Un cadeau: le livre d’Artur Klinau, Minsk cité de rêve (traduit du russe par Jacques Duvernet).

Extrait :

“Dans la Cité du Soleil, le ciel était extraordinaire. J’aimais quand il se transformait en cobalt profond, saturé. On voyait alors y flotter d’innombrables statues blanches de dieux ouatés dont les formes étonnantes répondaient harmonieusement à l’architecture de la ville, aux enfilades désertes de colonnes corinthiennes, aux arches majestueuses et aux obélisques dont je ne parvenais pas tout à fait à saisir la valeur sacrale. Ces jours-là, la ville était pleine d’ombres profondes et de contrastes. Je n’ai jamais retrouvé ailleurs les ombres de la Cité du Soleil. Dans les autres villes d’Europe, l’espace est trop resserré, trop concentré pour que les ombres puissent s’y dessiner avec un tel relief. Ici, elles s’ébattaient en toute liberté et créaient une féerie de danses graphiques dont la liberté n’était pas entravée par l’espace saturé d’architecture de la ville européenne. Bien des années plus tard, étant devenu artiste, je suis tombé amoureux de la peinture de Chirico et de Dalí. Je trouvais dans leur peinture quelque chose qui faisait confusément écho à mes souvenirs, aux sensations du petit garçon debout sur une place déserte au milieu des ombres dansantes de la Cité du Soleil. Il y avait aussi des journées où le ciel ne se teintait pas de cobalt, mais se couvrait d’une brume d’un gris ultra-marin, comme si une pellicule ternie enveloppait la ville. Le soleil réussissait à la traverser, mais il ne créait pas d’ombres nettes, leurs contours étaient indistincts, érodés. Ces jours-là, on avait du mal à respirer. L’air était saturé d’humidité et, tel un smog anglais, une brume poisseuse couvrait la ville. Chaque mouvement demandait alors deux fois plus d’efforts, et l’on ne ressentait un léger soulagement que lorsque le soleil disparaissait à l’horizon et que la ville pouvait s’enfoncer dans la bienfaisante fraîcheur de la nuit. Quelques rares journées, le ciel au-dessus de la Cité du Soleil était absolument sans nuages, comme on peut le voir en Espagne. Au nord et au sud, à l’ouest et à l’est, la ville est entourée d’innombrables marais qui génèrent un climat particulier. L’air est toujours humide et la chaleur ou le froid y sont plus difficiles à supporter qu’une canicule au bord de la mer ou un rude hiver quelque part au fin fond du continent.”